mardi 6 mars 2012

MACHINIST : Of What Once Was (Moving Furniture Records)


A l’instar d’un nombre sans cesse croissant d’explorateurs sonores, c’est à la guitare électrique que se consacre essentiellement le compositeur et architecte néerlandais Zeno van den Broek sous l’identité de Machinist. Mais, et c’est d’ailleurs souvent le cas, ce ne sont pas les capacités mélodiques de la guitare qui l’intéressent, mais bien plutôt ses possibilités texturales, son affinité avec le drone. Sur Of What Once Was, Machinist réunit deux longues pièces (respectivement de plus de vingt et trente minutes) unifiées par cette source instrumentale quasi unique. Avec « Mono Tone in D. », il rend ainsi un hommage à la « Symphonie Monotone » d’Yves Klein, une performance au cours de laquelle le plasticien avait fait jouer une note unique et soutenue à un orchestre de chambre pendant vingt minutes, avant de commander une durée égale de silence. Partant d’un principe proche, Machinist construit donc un titre sur une note unique, où seules les variations de résonance et de durée viennent agiter la surface, créer des micro-rythmes au sein de la pièce. Moins radicale, et nettement moins monotone que l’œuvre initiale de Klein, « Mono Tone in D » n’en reste pas moins un superbe moment de (dé)composition autour de la guitare. Improvisée en live, « Of What Once Was », seconde pièce qui donne son titre à l’album voit Zeno van den Broek agrandir sa palette puisqu’il ajoute à la guitare divers fields recordings et sons informatiques, et utilise principalement son instrument fétiche comme une caisse de résonance à travers laquelle transitent ces nouveaux éléments. Evidemment plus adapté au live, où les notions de spatialité et de physicalité prennent tout leur sens, « Of What Once Was » n’en demeure pas moins, réduit au seul CD, un vibrant paysage sonore se construisant peu à peu autour de nappes liquides et de collines grisâtres et érodées, frappées par le martèlement de la pluie, qui vont même jusqu’à parfois évoquer les climats mortifères du dark-ambient. Une œuvre exigeante, qui demande des conditions particulières (d’isolement, de météo, d’hygrométrie, sans doute) pour se révéler pleinement, mais qui offre dès lors un moment d’une grande richesse.

BYETONE : Symeta (Raster-Noton)

S’il est sans doute, du trio fondateur  de Raster-Noton, qu’il a formé avec Carsten Nicolai et Frank Bretschneider, celui qui est le moins réticent à reconnaitre l’influence de la techno sur son travail, Olaf Bender n’avait sans doute jamais été aussi loin dans son appropriation / hommage aux formes du beat séquencé que sur Symeta. Au lieu de le distiller en minuscules éclats comme il a pu le faire par le passé, il lui donne ici la place centrale, pratiquement la seule place d’ailleurs. Qu’il compose un diptyque énergique  et rétro en diable qui donne l’impression d’avoir plongé dans des années 80 alternatives (« Topas » et « T-E-L-E-G-R-A-M-M »), s’empare du minimalisme berlinois en vogue pour lui redonner des couleurs qu’il n’a plus depuis quinze ans (« Opal ») ou qu’il tutoie l’EBM froide de la fin des années 80 lors d’une implacable trilogie (« Helix » / « Black Peace » / « Golden Elegy ») s’achevant sur un dub-industriel porté par la harangue du ténor Jan Kummer, Byetone parvient à chaque fois à s’en tirer haut la main sans y perdre au passage sa spécificité. Emporté par les rythmes puissants, les basses ronflantes, les attaques métalliques et les montées époustouflantes, on ne peut que plonger à pieds joints dans cet album où le corps, pour une fois, commande à l’esprit. 

YVES DE MEY : Counting Triggers (Sandwell District)


Pour son second album, après un remarquable (trop court) Lichtung, qui nous proposait il y a trois ans la bande originale d'un spectacle de danse contemporaine, Yves De Mey semble avoir décidé de brouiller les pistes. En changeant de label, tout d'abord, optant pour Sandwell District, dont l'esthétique, bien que décalée, soit globalement tournée vers la techno et ses dérivations. En choisissant le vinyle ensuite, mais pour mieux jouer de ses contraintes, chaque disque de cette double livraison comportant une face 33 tours et une face 45 tours. Ces chausse-trappes surmontées, nous voilà prêts à apprécier Counting Triggers pour ce qu'il est : un superbe exercice de répétitivité minimale qui rappelle souvent les ambiances développées par Raster-Noton ou les sideprojects bouclés de Mika Vainio. Pourtant, ce qui sépare De Mey de ces références, c'est sans doute la nature de ses sources, puisque l'album a été réalisé sur des synthétiseurs analogiques et que les sonorités digitales y sont des plus discrètes. Organiques et hypnotiques, les six titres de Counting Triggers déroulent des constructions où les attaques de micro-éléments (« Particle Match »), côtoient les vastes espaces architecturés de résonances (« Whispering Strokes »). Une future référence à découvrir de toute urgence !

PHILIPPE PETIT : Oneiric Rings on Grey Velvet (Aagoo)

            Premier volet d'une trilogie en cours intitulée 
« Extraordinary Tales of a Lemon Girl », Oneiric Rings on a Grey Velvet est pour Philippe Petit l'occasion de se frotter une nouvelle fois à ses influences extra-musicales qui, de David Lynch à Shinya Tsukamoto n'ont de cesse de fournir le terreau sur lequel Philippe Petit fantasme et réinvente un monde qui, finalement, n'appartient qu'à lui. Ici, c'est à James Joyce, Lewis Carroll et aux gialli italiens qu'il rend hommage, livrant la B.O des aventures d'une Alice shootée aux hallucinogènes qui n'aurait traversé le miroir que pour se retrouver poursuivie par un tueur ganté et cagoulé dans un décor de rideaux rouges et de lumières blafardes. Comme toujours, il y a du drame, chez Philippe Petit, et la fille-citron du titre va en voir de toutes les couleurs dans des constructions menaçantes et inventives qui tiennent autant de la fantaisie victorienne décalée (mais après tout, le véritable Lewis Carroll ne nourrissait-il pas lui-même des goûts douteux envers les petites filles ?) que de la musique de film d'horreur, et nous entrainent dans un train fantôme qui ne s'arrête jamais et où tous les visiteurs (sauf vous ?) pourraient bien être morts. On a beau chercher, il n'y a guère d'équivalent à un album comme Oneiric Rings on Grey Velvet dans la production actuelle même si, par moments, la démarche de Philippe Petit pourrait faire penser à celle de Nurse With Wound dans ses moments les plus sérieux ou au Manorexia de J.G. Thirlwell. Reste à espérer, pour la Lemon Girl coincée dans ce cauchemar, que les deux volumes à venir lui offriront un certain répit, même si on aurait tendance à souhaiter – pour notre propre plaisir sadique – tout le contraire !

test edito

test edito